Se mettre à son compte n’est pas toujours une affaire de choix
Le discours économique ambiant s’empare d’un habit pseudo-scientifique pour encourager le salarié à devenir indépendant. Mais de nombreux salariés deviennent des indépendants en réalité par dépit, et sans savoir ce que cela veut réellement dire. C’est particulièrement vrai sur le marché du service informatique ou dans les nouveaux métiers du digital.
Pire, le néophyte est bombardé de symboles et d’euphémismes qui n’ont rien à voir avec la réalité sociale de ce statut.
Par exemple, les mots flexibilité et performance sont utilisés souvent ensemble. Compétences et services professionnels viables riment avec dégraissage ou agilité. Ou alors, on entend que la formation et la responsabilité personnelle d’un salarié sont des préalables à ses compétences. On laisse croire que créer une entreprise et créer une auto entreprise c’est grosso-modo la même chose. Bref, tout un univers symbolique fait de mots bateaux et de concepts vides, fait de l’économie une machine scientifique et indépassable, comme si l’économie obéissait à une sorte de loi naturelle et inexorable.
Il suffit pour un salarié d’avoir un vague projet, pour qu’aussitôt il soit aiguillé sur des démarches pour devenir indépendant. Drapé de conseils et d’informations, le salarié se jette alors dans une vie professionnelle d’auto entrepreneur (ou de freelance), faite a priori de création et d’aventures…
A la découverte des lois sociales et économiques cachées
Un salarié qui se lance dans l’aventure pour devenir freelance, le fait très souvent par dépit et inconsciemment. Il est baigné, sans le savoir, dans un monde symbolique qui euphémise sa réelle condition.
Par exemple, le fait de devenir auto entrepreneur est symboliquement équivalent au fait de se prendre en main. Indépendant, freelance, libre et courageux : l’étiquette sociale est plutôt reluisante. Il est tellement plus cool d’être indépendant que dépendant. L’ennui est que devenir réellement indépendant est tout sauf devenir travailleur indépendant, auto entrepreneur ou freelance !
En fait, devenir indépendant n’a rien à voir avec le statut d’un travailleur. La loi économique et sociale réellement en vigueur est la suivante : on devient libre et indépendant à la seule condition de détenir un patrimoine immobilisé.
Qu’est ce qu’un patrimoine immobilisé ? C’est un système dont l’exploitation rapporte de l’argent. Cela s’appelle un actif dans le langage financier.
Et comment cet actif est exploité ? Par des salariés, des auto entrepreneurs et des freelances qui ne possèdent aucun patrimoine immobilisé !
“Oui mais en tant que freelance mon savoir faire est mon patrimoine !” : c’est faux. Un savoir faire est un patrimoine non immobilisé. Dans le langage financier on appelle cela un actif circulant. Et un actif circulant circule – il vient et s’en va après un certain temps. C’est pourquoi un salarié, un freelance ou un auto entrepreneur ne peut pas s’arrêter de travailler, sous peine de crever de faim. Alors que celui qui détient un ou deux appartements hérités de ses parents, peut les louer et vivre sans travailler. Certes, il s’occupe de ses biens, mais il ne “travaille” pas, dans le sens courant du terme.
Devenir indépendant pour de vrai
Quelle est la différence entre une entreprise et un particulier ?
Dans une entreprise, ce sont les propriétaires qui se servent d’abord de la richesse créée, le fisc et les autres prédateurs financiers se contentent de ce qui reste. Chez un particulier, ce sont le fisc et les prédateurs financiers qui se servent en premier, l’individu se contente de ce qui reste.
Une entreprise exploite un actif crée par ses propriétaires (les entrepreneurs), un particulier exploite son savoir faire et son temps. Autrement dit, un particulier n’exploite pas un actif “crée”, mais un actif “acquis”. La “création de valeur”, voilà la différence entre une entreprise et un individu. Un individu opère ou réalise de la valeur, un entrepreneur crée de la valeur. Donc pour devenir indépendant, dans le vrai sens du terme, il va falloir créer quelque chose et l’exploiter.
Cela peut être une nouvelle manière de faire un travail, un nouveau concept ou un nouvel outil, voire une oeuvre d’art, un livre, une musique, un tableau…
Il faut apprendre à créer quelque chose qui par définition n’existait pas avant. Seule la création d’une oeuvre procure l’indépendance. Ce n’est pas pour rien que dans l’économie, celui qui met au monde une entreprise est appelé “créateur” d’entreprise. Il ne s’agit donc pas de prendre un numéro d’immatriculation et demander un statut juridique. Il s’agit de créer un système qui a des pattes pour marcher, quelque chose qui grandit, qui apporte de la vie aux autres et à soi.